mardi 27 mars 2007

ERNST JÜNGER, UN NATIONALISTE REVOLUTIONNAIRE



"L'écrivain évoluait entre les bureaux d'études de l'armée, les groupes paramilitaires et nationaux-révolutionaires, et réussissait à fusionner plusieurs projets politiques : celui du philosophe Wilamowitz visant à la création d'un État régi par un ordre ascétique ou une caste sélectionnée d'hommes de culture et de science, celui de Spengler visant le contrôle et la domination des nouvelles formes technologiques en train de transformer le monde, celui du poète Stefan George chantant une nouvelle aristocratie, celui de Moeller van den Bruck axé sur la nécessité de rénover de fond en comble le conservatisme ou plutôt sur la nécessité de lancer une révolution conservatrice, formule inventée par le poète Hugo von Hoffmannsthal et traduite par Jünger en termes ultra-nationalistes et guerriers. Pourtant. Jünger, influencé par la furie iconoclaste de Nietzsche, propose à l'époque de détruire totalement la société bourgeoise, ce qui lui permet d'utiliser aussi les mythes politiques de la gauche, dont l'idée bolchevique suggérée par Lénine, soit la mobilisation totale et militaire de l' État, utilisée auparavant en Allemagne par le Général Erich Ludendorff; chez Jünger. cette mobilisation totale deviendra la mobilisation totale de tout ce qui est allemand. Enfin, il utilise le mythe du travailleur-soldat, déjà loué par Trotsky ; Jünger l'adopte et le propose, transformé par la pensée du philosophe Hugo Fischer. Cette synthèse de Lénine».

Antonio Giglio (in L'italia settimale, n 13-1995).

«Il faut attendre la fin de 1928, pour voir se constituer de petits groupes susceptibles d'être qualifiés de nationaux-bolchevistes. Ces petits groupes sont bientôt réunis autour de quelques revues déjeunes et du Widerstand de Niekish. Or la plupart des animateurs de ces revues : Niekisch, Lass, Paetel, Ebeling. Kreitz. etc... ont un point commun tout à fait frappant, qui est d'avoir entretenu, au moins momentanément des relations particulièrement étroites avec Ernst Jünger. C'est à dire qu'ils ont subi de plein fouet l'influence de ce noyau dur du nationalisme révolutionnaire qui se nommait lui-même nouveau nationalisme et dont Jünger était le chef de file incontesté».

Louis Dupeux (in Stratégie communiste et dynamique conservatrice).


Les cents ans d'Ernst Jünger, le 29 mars dernier, auront été l'occasion d'un nombre non-négligeable d'articles de presse et de dossiers. Ceux-ci furent favorables ou hostiles, mais ils eurent une constante la quasi absence de référence à l'activité politique de Jünger. Absence qui ne fut pas la seule caracté­ristique de la presse du système, puisqu'un journal comme Combat, pourtant d'orientation nationaliste, rendant hommage au sage de Wilflingen ne consa­cre que dix lignes à ce sujet sur un article de deux pages. Pour notre part nous avons choisi le parti pris contraire, nous ne traiterons pas de la biographie de Jünger ou de son oeuvre littéraire et philosophique, nous ne traiterons que du militant nationaliste révo­lutionnaire. L'archéologie de l'engagement politi­que de Jünger remonte sans doute à 1911, où à 16 ans il rejoint une des branches du mouvement de jeunesse Wandervogel. Engagement particulière­ment signifiant car c'est une rupture de fait avec l'ordre bourgeois et familial et un choix en faveur de l'univers des ligues d'hommes, de l'aventure et du non-conformisme aristocratique qui préfigure son engagement des années vingt. Cependant ce ne sera qu'en 1918, à latin de la guerre, qu'une lecture de Barrés, qu'il connaît et apprécie depuis sa jeu­nesse, et que la situation de l'Allemagne (il écrit alors «Les efforts incommensurables de quatre années de guerre avaient conduit non seulement à la défaite mais aussi à l'humiliation. Le pays désarmé était entouré de voisins dangereux et surarmés, il était démembré, coupé par des corridors, pillé, vidé de sa substance. C'était un sombre cauchemar») en font un nationaliste. Nationaliste qui engage sa plume dans le combat politique, le 23 septembre 1923, avec un texte intitulé Révolution et idée qui propose une «véritable révolution» ainsi définie : «La vraie révolution n'a pas encore lieu, mais elle progresse irrésistiblement. Elle n'est pas une réaction mais une vraie révolution avec toutes ses caractéristiques et toutes ses manifestations. Son idée est l 'idée VöIkisch, aiguisée et dotée d'un tranchant inconnu jusqu'ici, sa forme d'expression est la volonté concentrée en un seul point... Ce n'est pas l'argent qui en sera le moteur, mais le sang qui unit la nation par ses mysté­rieux courants et qui préfère couler plutôt que de se laisser asservir. Le sang doit engendrer nos nouvelles valeurs, il doit assurer la liberté de l'ensemble par le sacrifice de l'individu, il doit lancer ses vagues contre toutes les limites auxquelles nous sommes confron­tés, il doit éliminer tous les éléments qui nous sont nuisibles»


Dans le même temps, au sein du milieu des anciens des corps francs et de la jeunesse nationaliste surgit une tendance, qui devait beaucoup au Wandervogel d'avant-guerre, que l'on dénomma le bundisme, et qui donna naissance au néo-nationalisme. Celui-ci voit dans la ligue (Bund) la forme sociale par excellence et développe une vue du monde ou prévaut l'héroïsme, les expressions les plus extrêmes du nietschéisme, une conception darwinienne et vitaliste du monde représenté en terme de vie, de sang, de force et de fatalité, et qu'incarné le type du guerrier opposé au type du bourgeois. Au niveau de l'engagement politique, il exalte l'activisme sans égards, les positions les plus révolutionnaires et la quasi -nécessité d'un passage parle chaos pour construire un ordre nouveau. Le nationalisme de ce courant n'est somme toute qu'instrumental ainsi que le définira Jünger «Le mot nationalisme est un drapeau, fort utilisable pour fixer clairement la position de combat originale d'une génération pendant les année chaotiques de transition; ce n'est aucunement, comme le croient beaucoup de nos amis et aussi de nos ennemis l'expression d'une valeur supérieure : il désigne une condition, mais non pas notre but».


Ernst Jünger sera, de 1925 à 1934, le plus brillant porte parole de ce mouvement dont il définira les lignes de force que d'autres tenteront de mettre en application (son frère Friedrich-George vulgarisant d'une certaine mesure sa pensée, les militants de quelques ligues et de groupuscules NR ou NB la transcrivant dans les faits) puisqu'il considérait que la lutte idéologique primait et qu'il voyait son rôle comme celui d'un formateur d'une «élite intellectuelle» puisée dans la jeunesse.


Jünger s'exprimera dans différents organes militants, tout d'abord dans l'hebdomadaire L'étendard, contribution à l'approfondissement spirituel de la pensée du front, organe curieusement lié à une organisation d'anciens combattants de droite et qui fut interdit en 1926pouravoirfaitl'apologiedes assassins de Rathenau, puis dans Arminius, La marche en avant, Résistance (l'organe d'Ernst Niekisch) et Ceux qui viennent. Ce dernier journal, hebdomadaire tirant au minimum à 15.000 exemplaires, est particulièrement intéressant car il était d'une certaine mesure l'organe de tous les mouvements de jeunesse nationaliste (il avait même une influence sur certains courants de la Jeunesse hitlérienne !...) et principalement de deux ligues : Les compagnons voyageurs (mouvement de jeunesse du Syndicat des employés) et Les gueux (scission du précédent qui participera par la suite au Front noir de Strasser) , et car il en était co-éditeur avec Lass (éditeur par ailleurs du périodique national-bolchevique Subversion et animateur des ligues Jeunesse Schill et Les conjurés), tandis que son rédacteur en chef était Paetel .


La réaction hitlérienne ayant accédé au pouvoir, l'action politique de Jünger ne cesse pas puisqu'il se situe comme un opposant en refusant à la fois d'occuper un siège au parlement et de faire partie de l'Académie allemande de poésie, et en partant en «exil intérieur» à Goslar tout en continuant à collaborer à Résistance, l'organe des nationaux-bolcheviques, jusqu'à son interdiction en 1 934. Par la suite, Jünger fut compromis dans l'attentat contre Hitler organisé par Stauffenberg et la résistance révolutionnaire-conservatrice. Par ailleurs il a toujours refusé de participé à l'autoflagellation du peuple allemand vis à vis de son passé, ce qui lui a valu d'être un temps interdit de publication et la haine des intellectuels politiquement corrects.

JÜNGER PARLE

«La destruction est le seul moyen qui aux yeux du nationalisme est appropriée à l'état actuel des choses... Nous laissons l'idée qu'il pourrait y avoir une sorte de révolution confortant l'ordre aux petits bourgeois. Parce que nous sommes les véritables, authentiques et impitoyables ennemis du bourgeois, nous prenons plaisir à sa décomposition. Quant à nous, nous ne sommes pas des bourgeois, nous sommes tes fils des guerres, y compris des guerres civiles, et lorsque tout cela, ce spectacle de cercles qui tournent en rond et dans le vide, aura été balayé, alors pourra se déployer tout ce qu'il y a en nous de nature, d'élémentaire, de sauvagerie authentique, de langue originelle, de capacité à engendrer le nouveau avec notre sang et notre semence».


«Les rebelles se recrutent parmi ceux qui sont résolus à se battre pour une cause, fût-elle perdue. Le cas idéal est celui où leur liberté propre se confond avec celle de leur pays».


«Toutes les forces révolutionnaires à l'intérieur d'un même État sont alliées invisiblement, malgré leur opposition mutuelle. L'ordre est de ce fait l'ennemi commun».

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